À la vue de l’offre pléthorique de formations post-bac proposant diverses voies de spécialisation et autant de trajectoires professionnelles, il est bien normal de se laisser gagner par une certaine forme de perplexité, voire, disons-le, de panique. Pour tenter d’apporter un éclairage à l’étudiant·e peut-être un peu perdu·e et au parent peut-être un peu inquiet, nous proposons d’énoncer ici, et d’étayer, 5 raisons de suivre une formation dans la transition écologique et solidaire.

Étant une école proposant précisément ce type de formation, cette démarche nous permet de nous exprimer en tant que partie prenante pleinement engagée, mais gare à ne pas renverser la logique : c’est bien parce qu’on y croit qu’on le fait, et non l’inverse.

Alors, si vous le voulez bien, lançons-nous sans plus attendre.

1- Développer les moyens de mener une action significative

 

Il est évident que face aux dérèglements climatiques, à l’érosion de la biodiversité, mais aussi aux inégalités sociales toujours plus violentes et aux montées des tensions (géo)politiques, il faut faire quelque chose. Il faut agir. Mais qu’est-ce que cela signifie, en réalité, agir ? Consommer bio et local ? Mettre en place un compost dans son immeuble ? Prendre le vélo au quotidien plutôt que la voiture ? Manger moins de viande ? Prendre moins l’avion ? Se rendre au bureau de vote de temps en temps ? Peut-être. Sûrement d’ailleurs. Mais pas que. Agir seul, ou en tant que consommateur (électoral), peut aider à aligner son mode de vie avec son éthique, mais ne sera très certainement pas suffisant pour construire une société plus juste et durable. Pour tendre vers cet objectif, sûrement un peu idéaliste (c’est ce qui en fait sa beauté), il faut développer les moyens de mener une action significative, c’est-à-dire qui compte et qui a du sens, non seulement pour soi, mais aussi pour, avec et sur les autres. La signification est profondément sociale, elle s’ancre toujours dans le tissu des relations qui nous traversent. Nous avons donc éminemment besoin de concret et de pratique, mais aussi de prendre le temps d’échapper à un cadre purement utilitaire et instrumental pour (ré)injecter du sens dans l’action en se questionnant sur ses modalités et l’espace qu’elle occupe dans nos sociabilités : pourquoi agir d’une manière donnée, quelles sont les intentions qui sous-tendent cette action, dans quel cadre (social, politique, philosophique…) évolue-t-elle, sur qui et/ou quoi opère-t- elle, avec qui et/ou quoi… Ces dernières questions, plutôt d’ordre théoriques, permettent de prendre le recul nécessaire pour donner de l’efficience à ses actes, et ainsi peser sur ces enjeux qui à première vue nous dépassent.

C’est ici qu’une formation post-bac dans la transition écologique et solidaire intervient : en adoptant une lecture interdisciplinaire du monde, à partir de perspectives académiques, associatives, intimes et institutionnelles, en mettant en mouvement son corps et sa pensée ensemble, il devient possible de définir des paradigmes d’action permettant de dépasser les cadres individuel(istes). Ou autrement dit, de monter en généralité, passer à l’échelle comme on dit, de manière contrôlée, progressive, sans jamais perdre le lien ténu entre la matérialité du monde et les potentialités qu’il renferme.

2- Donner du sens à son futur professionnel

 

80000 serait peu ou prou le nombre d’heures, en moyenne, que nous passerions à travailler dans nos vies d’habitants de pays du Nord (économique). Nous pourrions nous mettre d’accord sur le constat suivant : ce n’est pas négligeable. Il ne serait alors pas totalement insensé de vouloir joindre l’utile à l’agréable et de faire de l’action significative évoquée plus haut un métier, typiquement ce à quoi une formation post-bac dans l’écologie (entendue au sens le plus large) pourrait amener. Enfin ici on parle plutôt de joindre l’utile (à la société) à l’utile (à soi), ce qui n’est pas sans rappeler la fameuse tension (socio-politiquement construite) entre fin du monde et fin du mois (…fin du moi ?). Mais où serait alors l’agréable ? Peut-être pourrait-il se nicher dans le fait de se lever le matin pour une raison qui ait du sens pour soi, de lier, ou d’aligner ses contraintes économiques avec les grands enjeux d’aujourd’hui, ou autrement dit, de résonner avec son monde. Et ça non plus, ce n’est pas négligeable. Prenons un peu de recul.

Sans vouloir présupposer des capacités des mouvements sociaux à imposer (ou non) un rapport de force favorable et infléchir les grandes trajectoires politiques néolibérales, la succession des réformes du code du travail, du chômage et de la retraite annonce assez clairement la couleur : la tendance est à l’augmentation (nombre d’heures), l’intensification (nombre de tâches) et la flexibilisation (ou précarisation si on emploie les bons termes) du travail. Les questions de son sens et de ses conditions peinent à émerger dans la sphère politique institutionnelle, ou du moins, à susciter l’intérêt de la majorité au pouvoir. La valeur travail reste un rocher solide auquel s’accrochent les rhétoriques économi(ci)stes pour justifier de dégrader les conditions de vie de toustes, mais surtout des plus précaires, quitte à ce que les chiffres du burn-out soient en hausse. On pourrait se dire que tout ça n’est pas très joyeux, et on aurait sûrement raison : on n’est pas sortis de l’auberge du travail !

Sauf que vivre dans le monde d’aujourd’hui n’empêche pas de penser et de construire celui de demain. En fait, il vaut d’ailleurs mieux être solidement ancré dans le monde d’aujourd’hui pour être en mesure de peser dessus. D’accord la grande politique des gens sérieux et bien éduqués préfère garder ses yeux rivés sur les courbes du PIB plutôt que sur celles des températures au sol et du bien- être des gens, mais ça n’empêche pas, à quelques échelles en dessous, de canaliser le temps et l’énergie de travail, celles que la lutte sociale ne sera pas parvenue à reconquérir, dans des causes, des projets, des actions qui vont dans un sens qui nous sied davantage.

Et une chose est sûre, c’est que l’écosystème de l’ESS (notamment lyonnais) n’aura pas attendu que le reste du monde soit d’accord, qu’il parvienne à un consensus, pour s’y mettre. C’est bien là que se crée et s’expérimente le monde d’après, vous savez, celui dont on parlait à la machine à café virtuelle entre deux cours ou visios covi-confinées. Et c’est bien là qu’amène une école dans la transition écologique.

3- Rencontrer, faire collectif

 

Suivre un cursus bien implanté dans le terreau local de la transition est aussi l’occasion d’en rencontrer les acteurices, présent·e·s et futures. La rencontre, entendue comme le point de contact entre plusieurs subjectivités qui souhaitent (se) partager, est non seulement accélératrice d’apprentissage, mais aussi catalyseuse de mise en mouvement. La rencontre est un moyen de se rendre compte, de réaliser comment les divers enjeux de la transition écologique et solidaire s’incarnent au et dans des quotidiens, des points de vues et des sensibilités. Elle est pourvoyeuse de décalages, et de ces décalages naissent des possibilités d’actions et de réflexions qui viennent étoffer, épaissir un monde vécu.

Rencontrer, c’est donc déjà agir sur soi. Rencontrer, c’est aussi se (re)découvrir, se (re)construire, par des expériences communes, des partages, par des accords, des désaccords, par des émotions, des affects, des attachements, par ce que certains appelleraient des tissages. Il est essentiel aujourd’hui de reconnaître l’importance des relations dans ce qui forme un bien vivre (buen vivir) et il apparaît clair que les liens sont et seront indispensables pour faire face aux grands et petits enjeux d’aujourd’hui et de demain : c’est en s’appuyant les un·e·s sur les autres, en faisant collectif, que l’on bâtit la résilience. C’est de la solidarité, du care (le soin, l’attention, le souci), que naît la possibilité de sortir des rapports froids, impersonnels, que promeuvent certaines tendances managériales moderne, inscrites dans des logiques de rentabilité, et qui amènent à penser ce(ux) qui nous entoure(nt) comme des ressources dont on peut tirer profit. L’autre (au sens le plus large, incluant le vivant non-humain), n’est alors plus un outil, un moyen de réaliser une fin, iel devient un·e allié·e. Iel passe du statut d’objet à celui de sujet, avec lequel on dialogue. De telles rencontres sont des pieds de nez à la logique de croissance, d’extension de la sphère économique. De telles rencontres sont autant refus de la tendance à la marchandisation des rapports humains et au vivant

4- Changer de monde aujourd’hui

 

Il faut bien l’admettre, malgré tous nos moyens technologiques et nos infrastructures médiatiques, notre vision de ce qu’on appelle communément sans trop le définir « le monde » reste, et restera, toujours partielle, et donc partiale. Il s’agirait peut-être alors, à rebours des tendances objectivistes, et donc objectifiantes, d’accepter ce constat et de se demander dans quel monde souhaite-t-on habiter ? Ou plutôt par quel(s) monde(s) souhaitons-nous être habité·es ?

Un monde formé de maraîcher·es bio qui œuvrent à promouvoir des semences paysannes, d’ingénieureuses low-tech capables de rafistoler n’importe lequel de nos pas-si-vieux appareils, d’éco-constructeurices qui refaçonnent nos manières d’habiter, d’éco-designeureuses celles de nous vêtir, sans compter toutes celles et ceux qui animent, facilitent et accompagnent la rencontre et l’entraide, et bien d’autres encore, un tel monde est une source intarissable d’inspiration, d’espoir et d’optimisme. Un tel monde ouvre littéralement le champ des possibles en ce qu’il nous donne à voir des être humains qui parviennent à faire bouger des lignes qui jusque-là nous paraissaient immuables. Il ne s’agit pas de s’enfermer, d’oublier le « reste du monde », d’ignorer ce qui fait conflit et dissensus. Au contraire, il s’agit plutôt de s’ouvrir, de se laisser toucher par toutes celles et ceux qui œuvrent dans les interstices à en construire d’autres, des mondes. Et qui y parviennent.

Suivre un cursus d’enseignement supérieur en écologie, pluraliste, exigent et interdisciplinaire, est un moyen de se mettre en contact, de résonner avec ces autres morceaux de réalité. Une telle formation invite à changer de focale, à pluraliser les points de vue, pour refuser les grandes évidences paralysantes, les « on ne peut rien faire individuellement face à une crise de cette ampleur », qui finissent parfois par se simplifier en un « on ne peut rien faire ». Et c’est bien de la friction entre cette dernière croyance et le constat de départ, « il faut faire quelque chose », que naît ce qu’on appelle désormais communément l’écoanxiété. Des études supérieures dans la transition écologique n’ont d’autre but que de permettre d’apprendre à se mettre en contact avec ces réalités qui tendent à se compliquer et se complexifier, et d’apprendre à y naviguer.

5- Définir le monde de demain

 

Repenser en profondeur nos sociétés et leurs rouages implique d’inventer de nouvelles manières de s’organiser, de nouvelles synergies, autant au cœur des structures et des pratiques professionnelles qui les parsèment, qu’entre elles. La fertilité de la rencontre entre épanouissement personnel et enjeux collectifs se niche dans l’exigence d’une écoute mutuelle et active, nous invitant à porter une attention particulière non seulement aux fins d’une action ou d’un projet, mais aussi et surtout aux moyens déployés pour les réaliser. Une formation dans la transition écologique et solidaire est l’occasion de faire un pas de côté et de questionner les pratiques et modes d’organisation professionnelles existantes, de s’inspirer de celles et ceux qui en expérimentent de nouvelles, et de se donner les moyens d’inventer celles qui correspondront le mieux aux futures réalités vécues.

De plus, dans une société résiliente, les métiers sont amenés à être en constante évolution, à s’adapter au fil de l’eau à un environnement (social, écologique, politique) vivant, lui-même en mutation perpétuelle. Il n’y est pas seulement question de trouver sa place, mais aussi de la construire et de l’expérimenter. En effet, le respect du vivant humain et non-humain, et de sa diversité, nécessite de questionner toutes formes de standardisation des produits et des pratiques, et donc de les réinventer selon les contextes dans lesquels ils et elles s’ancrent. Ce n’est pas seulement vrai dans l’agriculture, dont les alternatives écologiques au modèle intensif et standardisé éclosent à mesure que ce dernier montre ses failles, mais aussi à chaque fois qu’un·e autre est présent·e, ou affecté·e, partout où la complexité des interactions invitent à écouter et s’adapter pour ne pas nuire. Tout ceci n’est pas une vision du futur.

Tout ceci s’incarne déjà aujourd’hui, dans ce qu’on pourrait percevoir comme un frémissement vu de loin, vu du métro-boulot-série-dodo consensuel, mais qui, si on se donne la peine de s’en approcher, apparaît alors comme un intense bouillonnement. Se former à la transition, c’est déjà y participer. C’est déjà entrer dans le bouillonnement. C’est déjà participer à créer le monde qu’on souhaite voir advenir, c’est le préfigurer. C’est rencontrer des métiers, les personnes qui les portent, et les potentiels qu’ils renferment. C’est se laisser traverser par leurs enjeux présents et futurs, les saisir, se les approprier et les mettre au contact de notre propre réalité. C’est inventer aujourd’hui les métiers de demain, mais pas seulement. C’est aussi inventer les métiers d’aujourd’hui qu’on ne distinguera que demain, car c’est souvent en regardant en arrière qu’on reconnaît les germes des (r)évolutions en cours.